Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins

Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins

Brettanomyces : Mythes d’hier et Réalités d’aujourd’hui
Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins
 
Cette saga est découpée en 6 articles
Lire l’introduction
 
Brettanomyces est une levure connue depuis bien longtemps mais qui fait couler beaucoup d’encre depuis peu. Dernier sujet à la mode, les polémiques, mythes, solutions miracles sont désormais légions et contribuent à compliquer énormément un problème sérieux mais pour autant pas si complexe que certains voudraient le laisser croire… L’abondance d’informations de qualité variable sur ce sujet a plutôt nuit à la gestion et à la solution de la problématique Brettanomyces dans les vins rouges. Cet article a pour objectif principal de faire le point sur les éléments clés susceptibles d’influencer significativement le développement de microorganisme dans les vins et de dégager les outils pratiques et efficaces pour le contrôle de son développement.
Brettanomyces (forme sporulante Dekkera) est une levure initialement identifiée dans la bière par Claussen (1905)[1] puis dans des moûts en fermentation (Kufferath, 1921)[2] et finalement dans les vins par Custer (1940) puis par Peynaud et Domercq (1956)[3]. Cette levure, qui appartient à la famille des Saccharomycetaceae (comme Saccharomyces) existe dans les vins principalement à travers l’espèce bruxellensis. Elle a été initialement décrite comme gênante en raison de sa capacité de refermentation des vins sucrés et de parasitage de la fermentation alcoolique par Saccharomyces sp. en formant le plus souvent de fortes quantités d’acide acétique.
En fait, si ce type de problème existe bel et bien avec Brettanomyces en vinification, l’altération nettement plus fréquente et potentiellement la plus gênante est tout autre. En effet, cette levure est capable de décarboxyler les acides cinnamiques naturellement présents dans le raisin et le vin (acide p-coumarique, férulique et caféique) en vinyl-phénols et de les réduire ensuite en éthyl-phénols (4-éthyl-phénol principalement, 4-éthyl-guaiacol et accessoirement 4-éthyl-catéchol) qui s’accumulent. Ces molécules volatiles et odorantes sont très stables et communiquent aux vins un arôme à caractère « phénolé » très caractéristique que l’on a finalement qualifié de caractère « Brett ».
La teneur en précurseurs d’éthyl-phénols n’est jamais un facteur limitant, tous les vins (et les jus de raisin) contiennent suffisamment d’acide p-coumarique (acide cinnamique le plus abondant) pour produire plusieurs milligrammes de 4-éthyl-phénol par litre de vin !
Après plusieurs années de polémiques inutiles, avec une capacité variable selon les souches, nous avons démontré [4] que seule Brettanomyces était capable de former dans les vins rouges les fortes quantités d’éthyl-phénols à l’origine du caractère « Brett ».
Le caractère « phénolé » ou « Brett » est relativement fréquent dans les vins rouges et affecte gravement la typicité aromatique variétale. C’est en cela et principalement (pour ne pas écrire uniquement) que Brettanomyces représente un problème sérieux en œnologie. En effet, si on laissait les vins évoluer naturellement avec Brettanomyces, qu’ils proviennent de Bordeaux, de Californie, d’Afrique du sud, du Merlot, de la Syrah ou du Tempranillo, tous finiraient pas présenter la même odeur ! Adieu la typologie géographique et l’identité variétale.
Cela dit, tout est question de style et de goût. Certains producteurs ou amateurs apprécient ou même recherchent ce type d’arôme. Peu m’importe. Mais qu’il ne soit plus invoqué le fameux « goût de terroir » ou la « typicité » du cru, du cépage ou de l’appellation pour expliquer l’odeur de « cuir » et « d’urine de cheval » qu’exhalent généreusement ces vins : il s’agit seulement de l’odeur de Brettanomyces.
Il n’existe pas de statistiques vraiment fiables quant à la fréquence du caractère « Brett » dans les vins mais seuls les vins rouges, nous verrons pourquoi plus bas, sont significativement affectés par ce problème. L‘analyse d’un assez grand nombre de bouteilles [5] avait montré qu’environ 1/3 était potentiellement affecté par un défaut détectable à la dégustation (concentration en éthyl-phénols supérieure au seuil de perception dans un vin rouge, soit environ plus de 600 µg/l pour le mélange 4-éthyl-phénol/4-éthyl-guaiacol 1 :8 le plus fréquemment observé en Europe). Il semblerait que la proportion soit aujourd’hui année après année plus importante et que certaines régions soit plus affectées que d’autres… C’est pourquoi, il m’apparaît nécessaire de faire le point sur les mythes et les réalités qui entourent ce sujet afin d’offrir des solutions concrètes à ceux qui souhaitent vraiment le maîtriser.
Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins
Cette question fondamentale a malheureusement fait l’objet d’un traitement polémique ces dernières années qui a provoqué beaucoup d’incompréhension et de malentendus chez les praticiens… Tout d’abord, ce micro organisme a été présenté comme une « levure de contamination » ; ce terme laisse penser que sa présence est anormale ou exceptionnelle dans les vins ce qui est parfaitement abusif. En fait, cette levure est présente dans tous les environnements fermentaires ou presque, vin compris. Ensuite, différents travaux se sont évertués à démontrer que Brettanomyces provenait du raisin pour laisser penser que c’était le vignoble qui représentait la source principale de « contamination ». Bien évidemment, Brettanomyces n’est pas arrivée de la planète Mars dans un vaisseau spatial, ni même sur une météorite… Il y a bien fallu qu’un jour elle entre dans une cave via le raisin…. Cependant, et toutes les études d’écologie microbienne l’ont très bien démontré, la fréquence de détection de cette levure sur le raisin est faible ou extrêmement faible (entre 0 à 3% des levures présentes) dans la très grande majorité de cas. Ce n’est que dans des configurations particulières, c’est-à-dire (i) un raisin plus ou moins altéré ou sur-mur avec une perte d’intégrité (porosité) de la pellicule [6], ou bien (ii) dans le cas de parcelles sous le vent de sources de contamination massives [7] (rejets vinicoles épandus ou entassés) que l’on peut atteindre des populations conséquentes et susceptibles de poser un problème dans les caves. Ces situations rares doivent être identifiées précocement, la vendange sulfitée à un niveau plus important que la normale (7-8 g/hl) puis ensemencée avec un levain industriel pour ne poser ensuite aucun problème de vinification.
Mais le reste du temps, qu’elle est la source de contamination par Brettanomyces ? Et bien comme pour tous les microorganismes à l’origine de la transformation du raisin en vin : le matériel vinicole au sens large ! Brettanomyces reste peu présente, voire absente, de la microflore des processus fermentaires car les levures de fermentation et les bactéries lactiques se multiplient normalement plus rapidement et occupent plus rapidement leur niche écologique. Cependant, de par les caractéristiques de son métabolisme (capacité à assimiler des sources d’azote et de sucres particulières) et sa capacité d’adaptation (résistance au dioxyde de soufre), au premier accident fermentaire, elle peut coloniser rapidement le milieu et provoquer alors différentes altérations.
Pour expliquer le développement plus important noté parfois dans les barriques neuves par rapport aux usagées [8], le bois de chêne des barriques a été suspecté par certains « winemaker » de contaminer précocement les vins et de favoriser la multiplication de Brettanomyces. En fait, il n’en est rien ! L’explication est tout autre. Tout d’abord, Brettanomyces ne fait pas partie de la microflore normale du bois. Ensuite, les barriques neuves sont chauffées entre 150 et 230°C ce qui conduit à leur stérilisation si tant est qu’elles fussent contaminées… La quantité de sucres assimilables par Brettanomyces apportée par le bois neuf ne représente guère de chose face à ce qui existe naturellement dans les vins [9]. Les barriques usagées représentent toujours une source plus importante de contamination que les neuves car elles abritent potentiellement un inoculum et peuvent contenir des éthyl-phénols dans leur masse [10]. Néanmoins, en présence de vin initialement contaminé (c’est-à-dire dans la quasi-totalité des cas comme expliqué plus haut), il faut noter que la cinétique de disparition du dioxyde de soufre libre et actif, seul antiseptique utilisable au cours de l’élevage et actif dans une certaine limite contre Brettanomyces (voir autre chapitre), est plus rapide dans les barriques neuves que dans les barriques usagées (potentiel oxydant plus fort, évaporation plus élevée). Ainsi, paradoxalement, il s’ensuit que Brettanomyces puisse dans certains cas se développer plus rapidement dans les barriques neuves que dans les usagées, ce, malgré un inoculum initial bien plus faible. Le niveau de dioxyde de soufre et l’ouillage doivent donc toujours être contrôlés plus fréquemment dans les barriques neuves, en particulier au début de l’élevage quand la consume est plus forte, pour éviter ce type de problème.
La question du nettoyage et de la désinfection des contenants vinaires et notamment de ceux en bois est un point critique qui sera traité spécifiquement un peu plus loin.
[1] CLAUSEN N.H., 1905 Occurrence of Brettanomyces in American lager beer. American Brewers Review, 19, pp511-512
[2] KUFFERATH H., VAN LAER M.H., 1921 Etude des levures du Lambic. Leur action chimique sur les milieux de culture. Bulletin de la Société Chimique de Belgique, 30, pp270-276
[3] PEYNAUD E., DOMERCQ S., 1956 Sur les Brettanomyces isolés de raisins et de vins. Arch Für Mikrobio, 24(8), pp266-280
[4] CHATONNET P., VIALA C., DUBOURDIEU D., 1997 Influence of polyphenolic components of red wine on the microbial synthesis of volatile phenols. Am J Enol Vitic, 48 (4), pp443-448
[5] CHATONNET P., DUBOURDIEU D., BOIDRON J.N., PONS M., 1992a The origin of ethylphenol in wines. J Sci Foof Agric, 60, pp165-178
[6] BARBIN P. 2006 Contrôle et éléments de maîtrise de l contamination par la levure Brettanomyces au cours du processus de vinification en rouge. Thèse INSTITUT National Polytechnique de Toulouse
[7] CHATONNET P., MASNEUF I., GUBBIOTTI M.C., DUBOURDIEU D., 1999 Prévention et détection des contaminations par Brettanomyces au cours de la vinification et de l’élevage des vins. Rev Françnol , 179, pp20-24
[8] http://www.decanter.com/news/158631.html
[9] CHATONNET P., DUBOURDIEU D., BOIDRON J-N., 1995 The influence of Brettanomyces/Dekkera sp. yeasts and lactic acid bacteria on the ethylphenol content of red wines. Am. J Enol Vitic, 46, 463-468
[10] CHATONNET P., BOIDRON J.N., DUBOURDIEU D., 1993 Influence des conditions d’élevage et de sulfitage des vins rouges en barriques sur la teneur en acide acétique et en éthylphénols. J Int Vigne Vin, 17, pp 277-298
Retour au blog

Laisser un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approuvés avant d'être publiés.