L’approche Biosynergique : le mildiou au centre
Comme je l’exprimai par ailleurs, la gestion de l’équilibre phytosanitaire du vignoble ne doit pas représenter ni l’alpha, ni l’oméga de la bonne viticulture. Mais il faut bien avouer que c’est la préoccupation première du vigneron depuis la fin du XIXe, depuis que la vigne européenne Vitis vinifera a dû affronter des parasites américains (oïdium, mildiou et phylloxéra) face auxquels elle ne disposait pas des défenses naturelles généralement conférées par des siècles de sélection naturelle… Parmi ces parasites, c’est évidemment le mildiou Plasmopara viticola qui pose les problèmes les plus fréquents et les destructions de récolte les plus importantes.
Depuis la mise au point de la bouillie bordelaise, le cuivre est un élément majeur des méthodes de protection des cultures contre diverses maladies (mildious, certaines mycoses et la plupart des bactérioses), en particulier sur vigne, productions fruitières et cultures légumières. S’il reste aujourd’hui largement employé dans diverses formes d’agriculture dites «conventionnelles», aux côtés d’autres pesticides, le cuivre joue un rôle crucial dans les systèmes agrobiologiques, car c’est actuellement la seule substance active homologuée en agriculture biologique (AB) ayant à la fois un effet biocide fort et une large gamme d’action.
Si la plupart des utilisations du cuivre sont justifiées par son efficacité biologique, elles posent des problèmes éco-toxicologiques (risques avérés pour les populations microbiennes du sol, les vers de terre, certains organismes aquatiques et des auxiliaires des cultures). La mise en évidence de ces impacts environnementaux du cuivre a motivé des restrictions réglementaires d’usage (plafonnement des doses applicables par hectare et par an), et même son interdiction comme pesticide dans certains pays européens (Pays-Bas, Danemark), ce qui génère des distorsions de concurrence entre pays. En novembre 2018, la Commission européenne a voté une nouvelle autorisation pour sept ans des composés issus du cuivre en agriculture, en plafonnant cet usage, à compter du 1er février 2019, à 28 kg/ha sur sept ans, soit 4 kg/ha/an en moyenne, contre 6 kg/ha/an auparavant.
On reviendra spécifiquement sur le sujet de la toxicité du cuivre vis-à-vis de l’environnement. En attendant, les restrictions croissantes des doses de cuivre autorisées ainsi que la menace persistante d’une interdiction totale à l’échelle européenne posent des difficultés aux producteurs, et plus particulièrement aux agriculteurs en AB, qui ne peuvent pas recourir à des pesticides de synthèse. En découle une demande récurrente d’« alternatives » au cuivre adressée à la recherche, qui a émergé il y a une vingtaine d’années et reste inscrite dans les priorités de recherche récentes.
Cette question des « alternatives » au cuivre a donc fait l’objet de nombreux travaux de recherche et de recherche-développement depuis le début des années 2000, et de beaucoup d’actions de recherche d’envergure plus limitée partout dans le monde. Il existe également de nombreux essais de solutions alternatives, conduits par les centres techniques et les producteurs, pour évaluer la pertinence technique de telle ou telle molécule ou préparation. Des connaissances ont également été acquises sur les mécanismes biologiques sous-jacents (induction de défense des plantes contre les bio-agresseurs, écologie des pathogènes et des agents de lutte biologique…). Dans « Peut-on se passer du cuivre en protection des cultures biologiques ? Expertise scientifique collective », Andrion D et Savini I. (2019, Edition Quae) proposent une synthèse limpide sur ce sujet.
L’approche biosynergique que je défends se propose d’utiliser toutes les alternatives efficaces disponibles dans les stratégies de protection du vignoble, en particulier contre le mildiou, avec notamment la perspective de développer des méthodes de substitution au cuivre classique. Les alternatives disponibles peuvent être regroupées en trois grands types.
Les méthodes à action directe sur l’organisme pathogène
La recherche d’agents microbiens de biocontrôle fait l’objet de nombreux travaux. Ces micro-organismes peuvent agir directement sur les agents pathogènes, notamment les insectes mais aussi certains champignons (Botrytis cinerea en particulier), par antagonisme, hyper-parasitisme ou compétition écologique. Outre leur effet direct, certains ont également la propriété de stimuler les défenses des plantes. Du fait de leurs caractéristiques particulières (organismes vivants), leur déploiement est plus complexe que l’application de molécules chimiques, ce qui peut entraver leur adoption et favoriser la variabilité de leur efficacité au champ. Les travaux récents s’attachent donc à déterminer les conditions optimales d’utilisation de ces produits, et à identifier des souches à fort potentiel par une exploration des microbiotes complets présents au voisinage des plantes ou organes à protéger. Une approche complexe mais prometteuse.
L’utilisation phytosanitaire de ces produits à base de micro-organismes nécessite par ailleurs un processus long et coûteux de mise sur le marché. Il existe actuellement peu de produits homologués contre les agents pathogènes ciblés par le cuivre, et les souches ou espèces encore au stade de la recherche d’amont sont très loin de couvrir les manques et les besoins. Il y a donc encore peu de pistes réellement sérieuses et avérées pour remplacer le cuivre par des agents microbiens de biocontrôle.
L’utilisation de préparations ou d’extraits naturels à activité biocide fait également l’objet de nombreux travaux
De composition souvent complexe, ces préparations ont fréquemment, outre leur activité biocide, une action de stimulation des défenses des plantes (cas de beaucoup d’huiles essentielles). Leur forte activité antimicrobienne en conditions contrôlées en fait des candidats sérieux pour se substituer au cuivre, mais leur formulation reste difficile. De même, certains effets indésirables sur les produits récoltés, et des interrogations sur le statut de certaines préparations vis-à-vis des cahiers des charges de l’AB, rendent leur emploi parfois problématique. Les huiles d’orange, d’origan et de sauge semblent prometteuses mais le silicium, sous des formes à définir préciser et si cher aux biodynamistes, possède certainement des atouts mal exploités.
Les stimulateurs de défense des plantes font actuellement l’objet de recherches très actives
De nombreux produits ou molécules possédant une activité biologique avérée en conditions de laboratoire ont ainsi été identifiés. Beaucoup d’entre eux (phosphites, extraits de micro organismes (champignons) et de plantes (algues)…) semblent avoir un mode d’action multiple, avec à la fois des effets d’induction de défense et des effets biocides (cas en particulier des phosphites) ou perturbateurs directs. Si ces molécules semblent souvent actives en conditions confinées et contrôlées de laboratoire, le transfert de cette activité au champ s’avère souvent problématique, avec des protections conférées faibles ou très aléatoires/irrégulières. Cela peut provenir de difficultés de formulation (les produits doivent pouvoir pénétrer la plante pour y être biodisponibles et perçus), de positionnement du traitement (un stimulateur de défense doit forcément être appliqué en amont de l’infection, alors que beaucoup de biocides sont plus efficaces lorsqu’ils sont appliqués en présence du parasite visé), de perception du signal par la plante, de persistance d’action, voire de méthodes d’évaluation. Or ces problématiques restent peu étudiées, l’essentiel des travaux étant actuellement dédié à la recherche de molécules ou de produits à efficacité démontrable au laboratoire. Certains essais d’associations de SDP et de produits cupriques sont encourageants contre le mildiou de la vigne, et il importe aujourd’hui de développer une base rationnelle pour identifier a priori les meilleures associations. Comme pour d’autres produits de biocontrôle, tous les SDP ne sont pas utilisables en AB : c’est en particulier le cas des phosphites.
Ces produits possèdent une efficacité remarquable contre les oomycètes (au moins 70-80 %) et sont systémiques (pénètrent dans la plante et sont donc peu sensibles au lessivage par les pluies). Leur classification comme SDP fait l’objet de controverses : si leur pouvoir éliciteur est prouvé, aux doses utilisées, leur effet fongicide est certainement prépondérant. Un autre débat concerne leur nature synthétique ou naturelle : sont-ils vraiment plus synthétiques que les sels de cuivre utilisés en AB ? On en débattra spécifiquement plus tard. Les phosphites, qui étaient autorisés en AB dans divers pays européens (Allemagne, Grèce, Autriche, Espagne, Hongrie, République tchèque) jusqu’en septembre 2013, ont perdu cette autorisation avec leur classification en tant que produit de protection des plantes, et non plus fertilisant ou biostimulant comme précédemment. Ils sont malheureusement actuellement interdits en AB dans l’ensemble de l’Union européenne. Enfin, rappelons que l’acide phosphoreux, produit de dégradation des phosphites sans connotation toxicologique, s’accumule notablement dans les produits récoltés et fait l’objet de limite maximum de résidus (< 100 mg/kg de raisin) ou d’import tolérances et ne permet donc pas de différencier l’usage du fosétyl de synthèse (éthyl-phosphite d’aluminium) des simples phosphonates ou phosphites de sodium ou de sodium. D’autres pesticides agréés en AB laissent également des résidus dans le vin final (insecticide du Spinosab par exemple, le soufre d’une manière générale, le soufre d’une manière générale, le cuivre aussi dans certains cas….), cet argument n’est donc pas vraiment valable… La non différenciation de l’usage du fosétyl vs les autres sels et plus recevable mais et alors ? Quid du processus de fabrication des différents types de sels de cuivre utilisables en viticulture… sont-ils vraiment plus respectueux de l’environnement et durables…. ? On peut s’interroger. L’argument de la source naturelle (naturalité), base fondamentale des intrants de l’agriculture biologique et biodynamique, n’est pas un pilier aussi solide qu’il pourrait le paraître. Si les phosphonates étaient autorisés en AB, on pourrait convertir du jour au lendemain 99% de la viticulture !
L’isothérapie, fondée sur le principe consistant à « traiter le mal par le mal », est fréquemment employée, sous diverses formes, en médecine humaine et vétérinaire (vaccination par exemple), et parfois en santé végétale
Sa déclinaison principale en santé des plantes consiste à employer des préparations hautement diluées et « dynamisées » (c’est à-dire assez longuement agitées) de l’agent pathogène ou de plantes/organes infectés. Ces préparations, à base d’organismes vivants ou morts (cendres issues de l’incinération de ravageurs par exemple), sont ensuite pulvérisées sur les plantes à traiter. D’autres formes d’isothérapie ont également été employées, parfois avec un certain succès, en santé végétale. C’est le cas des protocoles de prémunition par des souches atténuées de virus ou d’inoculation de plants avec des souches « hypo virulentes » de champignons.
L’homéopathie repose sur un principe voisin, mais un peu différent par l’absence de principes actifs sensu stricto
Elle emploie de hautes dilutions d’extraits naturels (de plantes, de sols, par exemple) dynamisés, dont certains peuvent être fortement toxiques à dose plus forte, et exploite la « mémoire de l’eau ». En effet, certaines préparations homéopathiques sont tellement diluées qu’elles ne peuvent statistiquement plus contenir une seule molécule de la substance d’origine ; les tenants de cette méthode prétendent que l’activité de ces préparations proviendrait alors de la capacité de l’eau à conserver l’empreinte moléculaire de ces substances.
La biodynamie utilise un ensemble de neuf préparations (nommées 500 à 508) dont les recettes ont été décrites par le fondateur du mouvement biodynamique, R. Steiner
Il s’agit de fumier de vache ou de quartz finement broyé incubés dans une corne (500 et 501) ou d’extraits de plantes (502 à 508). Ces préparations, elles aussi fortement diluées, sont censées favoriser la croissance, le développement et la capacité des plantes à résister à leurs ennemis. Elles peuvent être préparées par l’agriculteur lui-même ou moins orthodoxe achetées auprès de fournisseurs spécialisés. J’aborde ce sujet plus en profondeur dans l’article Pourquoi je ne serai jamais biodynamiste.
Signalons enfin l’usage de « protéodies », séquences musicales censées interférer avec la séquence des acides aminés des protéines au moment de la transcription du génome de la plante ou des parasites, approche fortement médiatisée auprès du grand public mais dont les fondements scientifiques ne sont en rien avérés
Les méthodes fondées sur l’homéopathie ou l’isothérapie semblent d’une efficacité très discutable, et ne constituent sans doute pas une alternative crédible aux autres possibilités. Elles ne font d’ailleurs l’objet que de très rares publications académiques et techniques ; très peu de données scientifiquement évaluables les concernant sont actuellement disponibles. Il n’en est pas de même si on se débarrasse du prêche anthroposophique des prêtres biodynamistes ! Et oui, en ne confondant plus savoir et connaissance et en respectant le BABA de la démarche expérimentale, on peut scientifiquement démontrer des différences qui jusque-là ne faisaient qu’alimenter des débats stériles. Ainsi, de plus en plus de travaux sérieux sont réalisés pour comparer et comprendre les différences entre viticulture conventionnelle, biologique et biodynamique avec des résultats extrêmement corroborés au plan scientifique. On y reviendra spécifiquement.
En attendant et pour conclure, l’approche Biosynergique que je souhaite promouvoir revendique une approche éclectique et totalement antidogmatique. Son seul but est celui d’optimiser le développement et la protection de la plante vis-à-vis des stress biotiques et abiotiques en utilisant tous les moyens possédant une efficacité certaine de manière directe ou indirecte sur la plante ou ses ravageurs. Ces moyens ne doivent pas impacter négativement sensu lato l’environnement proche et distant de l’exploitation mais replacer l’Homme face à ses responsabilités, non seulement éthiques mais également économiques.
Les solutions strictement naturelles doivent bien entendu être privilégiées, mais la stricte naturalité ne doit pas être non plus une limite si des alternatives plus efficaces et tout aussi respectueuses du cadre global de l’écosystème sont aussi disponibles. Les stimulateurs de la plante, biostimulants, nutriments, éliciteurs et potentialisateurs de défenses naturelles, microbiotes d’intérêt, doivent donc être utilisés sans limite si j’ose dire. Mais c’est bien entendu l’entretien, ou la création, d’un environnement propice au développement sain et harmonieux du végétal et de l’Homme qui avant tout doit être privilégié. C’est une idée facile à exprimer et une tâche plus difficile à réaliser avec les contraintes du monde moderne. La bio synergie rejoint ici les principes fondamentaux de la salutogénèse et de la biodynamie, débarrassés de leurs scories ésotériques en essayant de replacer au centre la raison qui souvent nous fait défaut.