La définition du Terroir selon l’institut National des Appellation d’Origine en France a substantiellement évoluée assez récemment. Un terroir est désormais « une zone géographique particulière où une production tire son originalité directement des spécificités de son aire de production. Espace délimité dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir-faire collectif de production, le terroir est fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Là se trouvent l’originalitéś et la typicité́ du produit ». C’est la notion de terroir qui fonde le concept des Appellations d’origine. La clause vaniteuse « des usages locaux, locaux et constants » présente dans la loi du 6 mai 1909, sclérosait les appellations et niait les évolutions connues au cours de l’histoire sous l’influence des évolutions socio-culturelles et des connaissances techniques de l’Homme ; elle a désormais disparu et on peut s’en réjouir. Le terroir doit être assumé sous tous les angles. Il y a tout un monde agronomique, de chercheurs, techniciens, viticulteurs, qui se préoccupe du concept de terroir au point d’être aspiré par un facile déterminisme environnemental. D’un autre côté, le déterminisme peut être aussi social ou culturel, c’est à dire donner une prépondérance exagérée aux facteurs économiques, historiques et sociologiques. Ces deux mondes fonctionnent en parallèle, en s’ignorant souvent, d’où les difficultés de faire admettre un raisonnement englobant, une théorie des terroirs systémique, une tentative de modélisation rassemblant le plus de critères possibles pour rendre une représentation du réel acceptable 1 . Parfois même on se contente de refuser le concept dans sa dimension naturaliste d’un simple revers comme l’écrit H. Enjalbert 2 à propos du rôle de l’histoire et de l’économie dans la formation du vignoble bordelais et plus spécifiquement du poids des goûts des consommateurs de l’Europe du Nord à une certaine époque : « Il est curieux qu’on n’ait fait jamais ressortir ce trait. C’était pourtant l’occasion, pour ceux qui affirment la primauté de l’homme sur les milieux naturels, de faire la démonstration que la viticulture de qualité, telle qu’on la voit naître à la fin du XVIIIème siècle est apparue du fait des entreprises humaines et non pas en raison d’un déterminisme qui se fonderait sur les aptitudes des terroirs ». Ce trait ne doit pas nous méprendre sur la vision d’H. Enjalbert, franchement dans la lignée de R. Dion contrairement à R. Pijassou 3 . Il fait en effet partie des géographes qui furent précurseurs en géographie viticole en donnant au « terroir sol » une place mesurée. Il montre comment on peut passer de l’élaboration de bons à de grands vins en joignant dans la qualité finale du vin le terroir avec ses composantes agronomiques, la mesure des viticulteurs avec l’emploi des fumures, la rigueur des maîtres de chais, le professionnalisme du négoce. Il s’inscrit même en faux de façon visionnaire dans une époque, les années 1970, où la technologie, de la vigne à la cave, a été souvent présentée comme plus forte que la nature. 1 Éric ROUVELLAC Le terroir, essai d’une réflexion géographique à travers la viticulture. Géographie. Université de Limoges, 2013. fftel-00933444f 2 ENJALBERT H. (1983), Les grands crus de Saint-Emilion Pomerol en France, éd. Bordas Bardi, 634 p 3 Éric ROUVELLAC Le terroir, essai d’une réflexion géographique à travers la viticulture. Géographie. Université de Limoges, 2013. fftel-00933444f Le concept de terroir a été revisité par la viticulture ces dernières décennies et continue sur sa lancée dans le Nouveau Monde qui s’inspire, autant qu’il est imité, par l’Ancien Monde. Cette notion est assez englobante pour résumer une alchimie entre un territoire, une économie et une société qui donne un produit caractéristique, patrimonial, emblématique, identitaire peut- être même d’une portion de territoire. Au point même que parfois certains éprouvent le besoin d’évacuer la vision culturelle, accusée de désavouer le terroir : « Pour l’historien le terroir est un composite où les critères sociaux et économique se mêlent à ceux de la géographie physique et la géologie pour déterminer l’implantation d’une agriculture particulière. Cette vision du terroir, particulièrement bien illustrée pour le vin par les travaux de M. Lachiver (1972) et R. Dion (1959), n’est pas incompatible avec celle de l’unité de terroir que nous proposons. Elles se complètent parfaitement à condition de ne pas nier la notion d’unité de terroir naturel et de ne pas ignorer la prééminence obligée des critères du terroir qui découlent de leur pérennité. En effet, si des critères sociaux économiques expliquent pourquoi tel ou tel vignoble s’est développé en tel lieu plutôt qu’en tel autre, ils ne sont pas d’une telle pérennité que l’expert délimitateur doive les considérer comme déterminants pour établir une limite d’une nouvelle appellation ou en modifier une ancienne. Oublier la pérennité du milieu naturel sur les faits socio-économiques ou immatériels ne peut que porter préjudice à la cause du terroir et à celle des appellations d’origine. » 4 . Cette ignorance entre « agronomes » et « culturels » dans les caractéristiques de vignobles célèbres jusqu’à la caricature. Ainsi les bourguignons vont jusqu’à prétendre que la qualité du vin n’est due qu’à la rencontre entre un sol, qu’ils confondent avec le terroir, et un cépage, niant le viticulteur, en se retranchant derrière le classement très pédologique des crus de la région. Alors que sans remettre en cause les caractéristiques des sols et des expositions des versants bourguignons, l’historien et le géographe s’aperçoivent rapidement que la construction des appellations de cette zone et leur hiérarchisation reposent essentiellement sur la distance qui les sépare des lieux de décisions, comme par exemple le négoce, à savoir Beaune pour la Côte du même nom, ou Dijon pour la Côte de Nuits 5 . Les considérations agronomiques et microclimatiques n’interviennent qu’après, pour asseoir une donne historique et économique existante. En effet, si sont croisées la pente, l’altitude, l’exposition, la géologie des communes de ces appellations, ces critères n’en corroborent pas les limites. Les données environnementales ne permettent pas de distinguer la Côte de Nuits de la Côte de Beaune 6 , On retrouve ces « incohérences » partout, même là où la justification géo- pédologique est la plus affirmée (Bourgogne, Alsace, Cognac…pour ne citer que des appellations françaises). Mais alors pourquoi qualifier certaines pratiques viticoles d’artificielles et en accepter d’autres que l’on pourrait tout autant qualifier de la même manière ? 4 LAVILLE P. (1993), Unités de terroir naturel et terroir. Une distinction nécessaire pour redonner plus de cohérence au système d’appellation d’origine.
Bulletin de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, n° 745-746, 227-251. 5 Éric ROUVELLAC
Le terroir, essai d’une réflexion géographique à travers la viticulture. Géographie. Université de Limoges, 2013. fftel-00933444f 6 COMBAUD A. (2008), Terroirs viticoles de la Côte-d’Or.
Caractérisation physique et historique par un système d’information géographique. Thèse de doctorat en géologie, Université de Bourgogne, Dijon, 318 p. L’irrigation est un sujet délicat car elle « artificialiserait » profondément le Terroir. L’implantation de vignobles dans des régions où le déficit pluviométrique est chronique condamne pourtant à cette pratique. Dès lors, l’apport d’eau devient partie intégrante de la définition du Terroir local. Le chien se mord la queue… Dans d’autres régions, l’évolution du climat pourrait conduire à cette même adaptation à moyen ou long terme….Mais il ne faudrait pas, sachant que cette échappatoire existe, ne pas privilégier avant tout des situations permettant à la vigne de se développer correctement sans cet « artifice ». Les organisations gérant les dénominations géographiques affichent des comportements schizophréniques à ce sujet… Nous n’utiliserons pas l’irrigation de notre vignoble car nous avons choisi de n’implanter des vignobles que sur des terroirs suffisamment adaptés et résilients en cas de période de sécheresse ; « accessoirement » notre appellation l’interdit de toute façon. Mais même si elle l’autorisait, certaines appellations bordelaises ont dérogé à cette règle en 2022, nous ne la pratiquerions pas. La contrainte hydrique n’est pas un problème pour la production de vins de qualité, bien au contraire elle est indispensable ! Les sols avec des réserves en eau moyennement faibles sont les plus qualitatifs. Les conditions climatiques d’une soixantaine de millésimes à Bordeaux montrent que toutes les années sèches correspondent à de bons ou très bons millésimes pour la production de vin rouge : 1945, 1947, 1949,1961, 1982, 1989, 1990, 2005, 2009, 2010, 2016, 2020, 2022…Ce résultat était attendu. De manière plus surprenante, on fait le même constat pour la vallée du Rhône, où le climat est toujours plus sec qu’à Bordeaux. Le réchauffement climatique serait-il favorable à la production de grands millésimes de rouges, mais aussi de blancs ? A l’évidence oui, pour le moment et pour le moment seulement, c’est bien là le problème…Quelle sera la limite au-delà de laquelle ces changements deviendront à l’opposé fortement négatifs ? La frontière me semble malheureusement assez mince. Si la sécheresse estivale, normalement absente sous climat océanique tempéré devait se systématiser et surtout s’accentuer dans le futur en raison d’un dérèglement climatique à long terme, il faudra bien entendu réviser cette position qui n’est pas dogmatique. Cette adaptation nécessitera une révision profonde du mode de production viticole avec la nécessité d’installations qui sont aujourd’hui inexistantes dans notre région. Mais il ne faudra jamais forcer à la culture de la vigne un environnement qui lui serait devenu inadapté ! Souhaitons donc ne jamais arriver à cette extrémité, mais soyons aussi résolument prêt à l’envisager si nécessaire. Le sujet de « l’artificialisation » n’est de toute façon pas le plus important. Si l’irrigation « artificialise » le Terroir, que penser alors des procédés de lutte antigel ? Ces procédés (bougies, éolienne, éolienne chauffante, canon à gaz, chauffage électrique…) à très forte dépense énergétique, modifient profondément le microclimat du lieu à un moment donné. Ils permettent de cultiver partout dans le monde de la vigne dans des endroits où sa production, si ce n’est son existence même, serait annihilée chaque année. Cela ne pose aucun problème pourtant aux Terroirs Champenois ou Bourguignons apparemment pour utiliser chaque année ces techniques et on les comprend ; La pose de filet anti-grêle où l’installation de techniques d’ensemencement des nuages (sels d’argent ou sels hygroscopiques), ou de fragmentation des noyaux de condensation par des canons à déflagration, représentent aussi objectivement des outils de manipulation du climat local extrêmement puissants. Ils sont pourtant de plus en plus largement plébiscités et employés compte tenu de la recrudescence des épisodes orageux violents sans doute liés au dérèglement climatique global ; La pose de voile antigel ou de bâche anti-pluie au sol avant vendange a valu les foudres de l’INAO en obligeant des producteurs bien intentionnés à déclasser leur récolte en vin de table car ils auraient volontairement « altérer les caractéristiques originelles du terroir et du millésime »….Le ridicule ne tue pas, malheureusement, mais ces techniques, auto-limitantes compte tenu de leur coût et de leur mise en œuvre pratique, pourraient s’avérer toujours utile certains millésimes ; Etc… En Agro-Synergie, toutes ces pratiques « artificialisantes » n’ont pas lieu d’être interdites si elles permettent effectivement à un producteur de sauver ou d’améliorer quantitativement et qualitativement sa récolte, si et seulement si, leur mise en œuvre n’altère pas définitivement les « critères naturels pérennes » qui doivent demeurer, si ce n’est les critères exclusifs, des critères fondamentaux de la définition et de l’exploitation d’un Terroir.